Un colis expédié par la compagnie allemande Multi-function contient la combinaison de vinyle que j’ai commandée par correspondance. Je la déballe avec empressement, et je me place face au grand miroir, le vêtement plaqué contre moi. Le haut sans manches, dans une matière imitant le vinyle, est plutôt sexy avec son soutien-gorge décolleté, lisse et sans bretelles. La taille est à peine affinée, les jambières d’un noir luisant coupées au genou. Ma combinaison d’amour ressemble à une tenue de plongé, plutôt qu’à " l’accessoire ultime du plaisir " vanté sur le site. Au lit, elle pourrait me servir d’anti-viol, mettant mes orifices à l’abri de n’importe quel assaut sexuel. Je me rassure en me disant que mes futurs émois sensoriels internes ont été calculés par une équipe de spécialistes aguerris du sextoy sophistiqué.
J'ai longuement réfléchi devant la grille d'options à remplir sur le site Multi-function avant de passer ma commande, coché la taille 38-40, 90B pour le soutien-gorge, "vinyle", moins onéreux que "latex", la couleur noire plutôt que du rouge tape-à-l’œil ou du blanc nacré salissant. Les mensurations des deux godes interchangeables à fixer à l’entrejambe, 12 cm sur 6 cm, et 10 cm sur 8cm, m’ont semblé être des volumes raisonnables pour être enfilés à tour de rôle dans mon intimité, devant ou derrière selon mes envies.
Impatiente d’essayer mon nouveau sextoy, je lubrifie le plus petit des deux godes et l’adapte à un pas de vis discret fixé à l’entrejambe de la combinaison. J’enfile le vêtement par les pieds, écartant les cuisses pour glisser l’appendice dans mon vagin avant de me culotter. Le zip remonté entre mes seins, je prends place sur mon fauteuil, devant l’ordinateur. La verge de latex épouse à merveille les contours internes de mon vagin. D’après la notice, sa matière est expansible en milieu humide à partir de 37 degrés Celsius. Les effets de l’appendice dilatant mon vagin vont accroître la température de mon corps jusqu’à m’étourdir les sens. D’après les instructions du kit, les sensations proviennent du gode et des électrodes. Je sens la pression des filaments métalliques, dans les coques du soutien-gorge.
Sur l’écran mural, je me dessine un corps et un visage susceptibles de séduire mon futur partenaire. Mon image de synthèse est un compromis de deux des nombreux modèles suggérés, Tank Girl et Barb Wire. Je branche la combinaison à l’ordinateur.
Ce soir sur le site de Multi-function, une cohorte de personnes équipées de combinaisons d’amour cherchent leur partenaire. Il n’y a aucun moyen de connaître l’âge et le genre de tous ces amateurs d’interactions à distance : l’avatar et la voix de synthèse déguiseraient un extra-terrestre. J’examine les pseudonymes qui défilent par ordre alphabétique en commençant par la fin. Zoé (travesti), Yogui, X, Wendy (travesti) Wanda, Ah ! Vercingétorix ! Ah, un macho pur jus ! sur l’écran, mon héros gaulois ressemble à un Rambo moustachu qui aurait fait quelques années body-building, avec ses mollets enflés et ses épaules de forain, reliées à sa tête par un cou de taureau.
Nous chattons. Vercingétorix est un Gabonais de 25 ans. Il habite les environs de Franceville. Une joute amoureuse s’engage entre nos avatars. Je lui envoie une première impulsion en guise de salutation, un titillement "gentil " aux testicules.
“Continue ma doudou, c’est bon, c’est bon !” dit sa voix de synthèse.
Je clique sur "moyen". Le grand chef gaulois se balance d’un pied sur l’autre, debout sur une pelouse d’un vert irréel au milieu de mon écran, son casque rutilant orné de deux ailes de plumes colorées posé à ses pieds. De toute évidence, il adore mon toucher subtil. Voilà même qu’il m’envoie des baisers.
C’est son tour d’actionner les commandes. Le pincement brutal qu’il m’envoie à la vulve n’a rien d’une caresse. Sa voix caverneuse exige que mon avatar se mette à genoux aussitôt, sans quoi il passera à “sévère”.
Sur l'écran, ma belle créature s’empresse d’obéir aussi vite que le permettent les déplacements de ma souris. De violentes décharges m’agressent la poitrine. J’ai beau rentrer le torse et tirer d’une main sur le soutien-gorge, les pincements multiples me tétanisent.
Tank Girl agonise sur le dos pendant que JE réplique.
J’actionne les pinces de SA combinaison d’amour, lui envoyant une impulsion “sévère” autour du pénis. Vercingétorix titube. Il s’approche de Tank Girl, zigzague sur le gazon, tombe à ses pieds, implore sa pitié, puis celle de la joueuse qui le manage.
Victoire ! me dis-je, prête à baisser la garde. Ma souris baguenaude, essayant d’imprimer à mon avatar une pose aguichante susceptible de séduire un partenaire quelque peu rugueux. Hélas, le lâche profite de cette trêve pour décocher une série d’impulsions sauvages à mon sexe, m’électrisant les viscères jusqu’au nombril.
“Tu n’es pas Vercingétorix mais un méchant Attila !”
“Je suis né en Afrique, que veux-tu, ma doudou. J'aime bien faire la synthèse des héros d’Astérix”.
Ma coquetterie me perd : c’est en choisissant la pose aguichante de ma créature que je me fais surprendre. Mon partenaire me voit maintenant comme le monstre à abattre de quelque jeu vidéo, envoyant une série d’impulsions fatales à mon vagin brûlant. Je riposte, cliquant d’un doigt nerveux sur “sévère”. Vercingétorix ne désarme pas. Mon doigt appuie frénétiquement sur “sadique”. Je me déchaîne en criant : “sale bête !” Lorsque je me déconnecte, la vulve et les mamelons en feu je suis à bout, brisée par les chocs électriques, prête à mettre au feu les vieux blue-ray et les bandes dessinées de grand-père à commencer par Astérix.
GALERIE DU MOIS Tobias Bernstrup est un artiste performeur né en Suède qui travaille en vidéo et en digital : jeux interactifs, espaces virtuels où évolue son alter ego, mais aussi concerts et musique électronique. Dernier disque : Utopia (2017).
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