La pénétration vaginale, le fameux coït ordinaire dont je parlais dans le magazine Vice, a un nouveau détracteur : Martin Page, écrivain touche-à-tout, politiquement correct puisqu’il est du côté des faibles (les femmes et des animaux), prône les caresses, l’amitié, et la gentillesse. Dans son livre Au-delà de la pénétration, l’auteur considère la pénétration vaginale comme le point d’orgue de la sexualité patriarcale. Pénétration = domination, ce qui n’est pas faux aux yeux de la dominatrice que je suis ! Je pénètre = je domine, même si ce n’est pas systématique : on peut se baiser soi-même avec un gode ou un pénis, comme le suggère Bini Adamczak dans son article des féministes dionysiennes dans la revue Glad, créant le mot circlusion . "Circlure signifie : enfiler quelque chose – un anneau ou un tuyau – par-dessus quelque chose d’autre – un brin, une tige ou un bitoniau. Ici, ce sont l’anneau ou le tuyau qui sont actifs" . Mais aujourd'hui d'une manière générale, le rapport sexuel est vu comme un rapport SM : le top mène la danse, et le bottom suit.
La moitié du petit livre de Martin Page est composé d’interviews qui vont dans ce sens. L’avis des femmes ? Certaines n’aiment pas trop la pénétration vaginale, d’autres simulent le plaisir, d’autres souffrent de vaginisme. Rien de nouveau sous le ciel de lit : certains hommes se masturbent dans le vagin de la femme. Quelques femmes célèbrent la pénétration, mais elles jouissent plutôt grâce à des caresses manuelles. L'orgasme vaginal est un leurre.
L’avis des hommes ? Certains témoignages comme celui d’un certain M, hétérosexuel, font l’apologie du plaisir prostatique : « pour moi il ne fait aucun doute que l’anus est une zone érogène et qu’être pénétré active des circuits de la récompense dans mon cerveau ». Les amantes de M apprécient la sodomie réciproque. Après avoir été pénétré par leur gode-ceinture, M les prend.
Le plaisir prostatique, mais aussi l'abandon de l’homme pénétré, le lâcher-prise, l'impression jouissive d’être possédé, l'illusion d’appartenir à l’autre, et de l’autre côté du gode-ceinture, l’ivresse du contrôle (le fameux top space) de l’homme ou de la femme qui sodomise et qui se prend au jeu. Il y a « une rage à se donner, une ivresse à prendre » note un gay qui se confie à Martin Page à propos de la sodomie, conscient de la différence de sensations et de rôles entre le donneur et celui qui reçoit, entre le top et le bottom. Pénétrer est bien un acte dominant, qu’il soit anal ou vaginal. Ces actes de domination peuvent cependant être réversibles. Les rôles sont changeants, mouvants comme dans le cas de M.
Les clients/patients des dominatrices n’ont pas toujours la chance de M dans leur vie sexuelle. Pour ressentir les plaisirs que peuvent donner les attouchements de la prostate, ils viennent voir une femme harnachée, à laquelle ils demandent une pénétration anale : ils veulent découvrir le plaisir prostatique, et celui du lâcher-prise à être dominé.
Dans la vie, ces hommes sont presque tous en couple. N’ont-ils jamais parlé à leur partenaire de la tentation de Sodome ? Y-aurait-il, dans le couple, le couple français tout du moins, un tabou, une poche de résistance, située du côté de l’anus de l’homme hétéro ? Cache-t-il son envie de plaisir prostatique parce que c’est la norme ? A-t-il peur de passer pour un gay ? De déchoir ?
Dans un élan de sincérité, Martin Page s’avoue lui-même « archaïque » : son horizon sexuel se limite aux caresses, au cunnilingus et à la fellation. Il n’a pas envie d’être «pénétré par sa compagne, même avec un doigt délicat ». Pour lui ne pas pénétrer est le signe « d’une sexualité artiste ». Il ne connaît pas le sexe tantrique et, comme la plupart d’entre nous, il est formaté par des représentations très anciennes, des schémas puritains.
Oui, le plaisir prostatique est encore un tabou. Et des hommes seuls enfilent toutes sortes d’objets dans leur rectum pour connaître ce plaisir en solo. La magazine Vice donne, ce mois-ci, la liste des objets trouvés dans le rectum par les médecins américains, et ce n’est pas triste. Ah! la prostate ! Quand elle vous tient !
Trouvés en 2019 dans des rectums d'Américains :
DÉSODORISANT, BRIQUET, BOUCHON DE TUYAU D’ARROSAGE, VIBROMASSEUR, BOUTEILLE DE SHAMPOING, AMPOULE, BOÎTE DE COMPOTE DE POMME, GODE, PLUG, STIMULATEUR PROSTATIQUE, DÉCORATION DE NOËL, COUTEAU PLIABLE, JOUET EN PLASTIQUE, BROSSE À DENTS, PORTE-BROSSE A DENTS, CINTRE
Galerie du mois : Marie Morel, et ses toiles gigantesques dont ne figurent hélas, ici, que deux détails. Peintures émaillées de perles, de clous, de fils de passementerie, de boutons et de fleurs de verre composant des oiseaux, des sexes d'homme et de femme et Marie elle-même, la femme-oiseau qui vit dans le Jura et parcourt la France à tire d'aile d'une exposition à une autre. Elle vient de montrer ses toiles érotiques à la galerie Béatrice Soulié, rue Guénégaud, à Paris, où elle a présentée son livre L’oeuvre censurée de Marie Morel avec un texte de Pascal Quignard. Elle est représentée par la galerie Capazza en Sologne.
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